Marquer sa présence, laisser une trace
L’étudiant délimite son territoire dans l’amphithéâtre en apposant son nom ou une date. La fonction première du graffiti se vérifie ici, laisser une trace ou un signe pour rappeler l’existence de son auteur ou simplement son passage.
Les étudiants n’ont généralement indiqué que leurs prénoms, plus rarement leurs patronymes, plus souvent leurs surnoms ou leurs initiales : J.Y. est passé… With Nagui ; Boui et Yote étaient là 26/10/01 ; Alex was here ; Alice was here ; I was here, annoté de Me too ; Baptiste J 01/07 ; Cleme 14/03/07 Langue ; Salut je ne fais que passer C…
Malgré un placement libre certains étudiants délimitent volontairement leur territoire : Ici c’est ma place… Quelques noms, marques distinctives ou citations réalisées par la même main se retrouvent de manière récurrente sur les tables. Ce sont de véritables signatures ou codes, qui ne marquent plus seulement une place en particulier, mais un rang ou l’amphithéâtre dans sa totalité.
Les tables sont hantées par MIKA, Nagui et Jack – en référence à l’architecte Jacques Ignace Hittorff – ou encore Aude ; Florent est beau ; Carpe Diem ; Jonquille ; un dessin d’ourson en peluche stylisé… Cet envahissement de l’espace suscite alors les réactions des autres étudiants. C’est ainsi que l’on peut lire : arrète de t’la pèter… j’aime pas les mickaël…, ou : tu m’soul J’en ai marre de t’voir [squatter] les tables !
Les premières dates que l’on recense remontent à l’extrême fin des années 1960. 1969 est la plus ancienne date restée lisible. Cependant, des dates historiques, par exemple 1694 poils aux dents, parsèment également l’amphi et brouillent notre observation.
Les dates les plus anciennes apparaissent sous la graphie de l’année uniquement avec deux ou quatre chiffres. Ensuite, à l’approche du tournant du millénaire, elles s’inscrivent au format jour/mois/année.
Les dates se concentrent à certains endroits où elles se suivent chronologiquement de mains différentes. Des séries se sont créées au fil des années scandant ainsi le temps qui passe. Les inscriptions font parfois même office de calendrier des fêtes qui rythment l’année universitaire : Halloween ; Merry Christmas ; 1er Mai accompagné d’un dessin de brin de muguet à quatre clochettes…
Les étudiants inscrivent où ils sont mais aussi d’où ils viennent, sous forme de slogans régionaux ou identitaires : [Que] Visca Catalunya * IIII, ou par des écrits en langues étrangères comme du chinois, de l’arabe ou du grec… Certains étudiants internationaux venus étudier grâce aux programmes Erasmus et Socrates participent à ce “réseau social” bien plus vaste qu’il n’y parait au premier regard.
Lire la suite : Esquisser les prémices d’un réseau social