Esquisser les prémices d’un réseau social
Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence ! Tais-toi !
L’année 2007 marque la fin de notre corpus de graffitis, avec la fermeture du site des Sciences humaines et arts pour travaux de rénovation. Cette date coïncide avec le développement des réseaux sociaux numériques en France. Certains comportements inscrits sur les tables évoquent les pratiques développées sur les réseaux sociaux. Avant d’écrire sur notre mur ou sur celui de nos amis on écrivait sur les tables. Bien que ce soit plus difficile, et d’une diffusion plus limitée que sur internet, les étudiants échangent, publient des humeurs ou des statuts, discutent et émettent des commentaires.
Certains billets d’humeurs sont très personnels : Cace-dédi à mon poisson rouge décédé ce mercredi 5 déc 2004 ; J’aime pas la soupe aux brocolis…
À l’instar de ceux portés sur les réseaux sociaux numériques, les commentaires sont souvent dénués d’intérêt : ce sont des “privates jokes”, des délires personnels, des pensées futiles, dont les étudiants ont barbouillé les tables.
Le commentaire est de loin la pratique la plus répandue. Chacun réagit aux inscriptions de ses camarades ou de ses prédécesseurs, et les annote par des remarques souvent sarcastiques ou moqueuses. La citation du célèbre passage d’Hamlet : Être ou ne pas être ? a été soulignée par : T’as trouvé ça tout seul ou tu veux une médaille !?. Une représentation schématique d’un éléphant vu de dos a suscité cette série de commentaires, à l’orthographe approximative, portée par deux mains différentes : je penses que tu n’as jamais vue un éléphant !, suivi d’un tu n’es jamais aller à l’école ?.
On observe aussi d’autres comportements plus “actuels” pratiqués sur les réseaux sociaux comme les sondages.
Un étudiant en a rédigé un – complété par la suite par une vingtaine de personnes
– et destiné à savoir qui regarde la série télévisée L’Inspecteur Derrick. Il existe également un curieux formulaire pour devenir mousquetaire, ou encore un avis de recherche pour retrouver Fabrice, contre la récompense d’un sac à patates.
Figurent aussi un certain nombre de questions ouvertes attendant leur réponse ou de simples interrogations : Une tortue a une carapace ou une coquille ? ; Il n’y a rien après la mort, quel est votre avis ?, ce à quoi une autre personne a répondu : Rien du tout. Heureusement. Il y a que la Vie qui compte…
Même si cette pratique a du être très peu efficace, l’amphi E garde aussi la trace d’une activité sociale tournée vers la rencontre amoureuse ou amicale. Du moins, certaines tentatives de socialisation transparaissent dans les écrits : 22/10/2002 :
Bonjour je m’appelle Chloé et toi comment tu t’appelles ;
Je cherche des amis 06 18 18 — — ; Rendez-vous à lundi, Félix. On retrouve sur les tables quelques annonces, sémantiquement proches de celles des journaux ou sites web, ou encore des graffitis des toilettes : Petit brun cherche filles. 06 85 95 — –, ayant reçu comme commentaires : Mets toi aux garçons t’auras peut-être + de chance, et Dommage…
Les nombreux cœurs entourant des prénoms ou des initiales rappellent les marquages à la craie dans les cours d’écoles ou les incisions au couteau sur les troncs d’arbres.
Certaines dates évoquent des statuts ou des listes d’événements auxquels les étudiants ont participé. Si quelques-unes font référence aux activités qui se sont déroulées dans l’amphithéâtre comme 27/01/06 CM médiéval L1, d’autres dates commémorent des événements extérieurs comme des concerts : 14 avril 2007 La Rochelle Céréales Killers ;
M 25/06/05 Parc des Princes, en référence au concert du groupe de métal Iron Maiden, ou encore Metallica 23/06/04 pour un concert dans le même stade.
Les étudiants communiquaient également entre-eux via des fanzines, magazines indépendants et auto-édités, qui étaient presque toujours portés par des associations étudiantes et parfois soutenus financièrement par la faculté. Cette pratique a aujourd’hui disparue, remplacée par les blogs et les réseaux sociaux.
La faculté des Sciences humaines et arts a connu quelques fanzines aux sujets divers. Citons Historix, consacré à l’histoire et édité par l’Association des Étudiants d’Histoire (AEH) dans la seconde moitié des années 1990 ou encore Fracasse, fanzine de bandes dessinées et d’humour édité par un collectif d’étudiants en Sciences humaines et arts entre 1999 et 2005.
Plusieurs graffitis de l’amphi E sont attribuables à l’un des dessinateurs de Fracasse.
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